Lors du séminaire Sem et Spl, qui s’est tenu le 9 juin dernier, Anne Leca, fondatrice et présidente du cabinet LECA RH et Tony Lourenço, PDG de Territoires RH, ont partagé leur expertise auprès des dirigeants sur un enjeu fort pour les Epl « le recrutement dans le contexte post-crise ». Nous vous proposons de découvrir, au travers d’une interview croisée, un résumé de leurs interventions et de leurs recommandations.
Existe-t-il un nouveau paradigme dans le recrutement aujourd’hui ?
Anne Leca : les années Covid (dont nous ne sommes pas sortis), ainsi que la situation de crise internationale et de menaces afférentes ont révélé une nouvelle façon d’être et de concevoir le travail. Tout d’abord le sentiment de danger, de risque, qui questionne l’impression d’immunité et de protection qui était la nôtre dans les sociétés dites développées. Les nouveaux modes de travail se sont développés autour du télétravail, des visioconférences, de l’appartenance virtuelle à une entreprise. Cela a généré un double constat ambigu: celui de la liberté de ses horaires, de ne plus prendre les transports en commun, la baisse du stress, la présence de la famille; mais un autre sentiment, d’enfermement celui-là, s’est développé, avec l’impression d’être à l’étroit, d’éprouver le besoin de sortir, de retrouver ses liens sociaux, les échanges informels avec ses collègues, de faire partie de la grande famille de l’entreprise. D’où l’apparition de plus en plus fréquente d’une perte de sens des collaborateurs et d’un sentiment de vacuité. Tout ceci va orienter les collaborateurs vers un recentrage global de leur vie sur la famille, la qualité de vie, la recherche de valeurs, qui leur redonne un sens vis-à-vis d’eux-mêmes, mais aussi un sens dans leur travail à travers ce qu’ils apportent à la société. Le sens profond de notre métier a changé, en raison de la rareté grandissante des profils, mais aussi par ce que sont maintenant les candidats, de plus en plus exigeants, en position de force : négociations salariales, des choix faits sur des critères de plus en plus personnels et intuitifs, une surenchère face à des entreprises en concurrence.
Qu’est-ce qui a concrètement changé ? Et pour vous, en tant que cabinet de recrutement ?
Tony Lourenço :
Ce qui a changé en trois points :
- Un marché du recrutement où de multiples acteurs sont désormais présents n’ayant pas forcément la même approche : agences d’intérim, cabinets de recrutement généralistes, des équipes internes aux structures de plus en plus pointues et compétentes, des acteurs digitaux comme Linkedin qui deviennent incontournables… Lorsqu’on fait appel à nous aujourd’hui, c’est souvent pour de l’approche directe de cadres et souvent après avoir utilisé d’autres moyens sans succès…
- Des candidats en position de force sur un marché très tendu. Ils veulent travailler de plus en plus dans des structures ayant une démarche RSE à impact économique, social et environnemental. Ils aspirent à un équilibre réel entre vie professionnelle et vie personnelle. Pour autant, ils espèrent des challenges, des défis et la possibilité d’avoir une contribution proactive. Enfin, et ce n’est pas neutre, un respect et une attention réelle de leurs élus et dirigeants et à défaut, ils n’auront aucun état d’âme à quitter la structure…Et dans le processus de recrutement, ils veulent du dialogue, de l’échange et du partage avec le sentiment d’être considérés et reconnus.
- Des employeurs, souvent des TPE/PME coté Sem et Spl, n’ayant pas vraiment de démarche RH très structurée et moderne, qui doivent s’adapter tant bien que mal à ce nouveau contexte. Et en même temps, des élus qui leur confient des projets et des missions de plus en plus complexes et qui demandent de réelles compétences techniques; mais aussi et avant tout une capacité à mobiliser ce que l’on appellerait aujourd’hui les soft skills.
Quelles sont les postures actuelles côté employeur et côté salarié ?
Anne Leca :
Côté candidats, en position de force:
- Recherche d’une structure qui a du sens, des valeurs et un ADN ;
- Un employeur avec lequel ça « matche » dès les premiers entretiens, et un respect mutuel dans le processus de recrutement ;
- Le besoin de concilier vie professionnelle et vie personnelle (télétravail, temps partiel, horaires flexibles) ;
- Une ambiance conviviale, d’échanges et de bien-être de type start-up ;
- Une rémunération conforme à leurs attentes.
Côté employeurs, qui s’adaptent :
- Une réflexion de plus en plus axée sur qui sommes-nous collectivement, les missions de la structure, le projet territorial et politique vertueux qu’elle porte (RSE, développement durable, responsabilité sociétale) ;
- Une réflexion sur ses critères de différenciation et d’attractivité dans un contexte de concurrence exacerbée ;
- Une politique de revalorisation salariale, tant au niveau des salaires fixes que des parts variables et autres avantages ;
- Des employeurs qui commencent à casser les codes et conformismes internes, notamment en ne basant plus exclusivement les critères de recrutement sur le seul degré d’expertise ;
- Des process d’intégration, structurés en amont, qui sécurisent le collaborateur, et qui est également une marque de respect de la part de l’entreprise.
Quelle politique les Epl doivent-elles mettre en place pour optimiser le recrutement de nouveaux collaborateurs ?
Tony Lourenço :
Mes dix recommandations:
- Travaillez le Sens par l’affirmation d’un positionnement marketing, d’une marque employeur sous l’angle RSE. Sem, Spl et Semop sont avant tout des opérateurs privés à mission de service public, ayant une Raison d’Être, des valeurs et une manière d’agir spécifique, au service et pour le compte d’élus de collectivités, bras armés d’un projet politique territorial ayant un impact économique, social et environnemental… ;
- Humanisez et digitalisez la communication en utilisant la vidéo, les réseaux sociaux et les prescripteurs et en particulier, en faisant s’exprimer les élus, le dirigeant, les salariés et anciens salariés, futurs N+1 et collègues qui évoquent la structure, ses missions, l’environnement, le poste et l’ambiance de travail… ;
- Travaillez la présentation du poste en matière d’objectifs à atteindre, de challenges, de défis à relever où l’initiative, la créativité, l’autonomie et la responsabilisation seront déterminantes dans la mise en œuvre des projets/programmes et actions ;
- Proposez un environnement de travail flexible avec du télétravail, des horaires variables, des outils de travail et de gestion de projets collaboratifs et digitalisés, des bureaux en mode start-up… ;
- Rendez fluide l’expérience candidat en optimisant le dépôt du CV via l’utilisation du smartphone en trois clics maximum, en un clic sur LinkedIn à partir du profil du candidat ;
- Soyez très ouvert dans la sélection et l’évaluation des profils, sortez des sentiers battus. Même si, par exemple, en tant qu’AMO, on attend de l’expertise; osez miser sur le potentiel des candidats par l’identification de leurs softs skills. À cet égard, soyez attentif à des candidats internes potentiels… ;
- Offrez la possibilité d’échanger et de dialoguer en amont de la candidature avec les collaborateurs afin d’expliciter au maximum la réalité du poste et le contexte ;
- Accélérez l’organisation de l’entretien avec les décideurs et la prise de décision: un seul entretien avec les décideurs sous 10 jours, une décision dans la semaine avec une promesse d’embauche factuelle et chiffrée ;
- Organisez l’accueil, l’intégration et la prise de fonction des nouveaux collaborateurs en nommant un tuteur et référent en appui du salarié ou encore en prévoyant un déjeuner interpersonnel sous huit jours, un rapport d’étonnement à un mois… ;
- Donnez la possibilité aux nouveaux collaborateurs de proposer, tester, expérimenter des choses afin qu’ils aient le sentiment d’avoir un impact personnel immédiat sur leur quotidien.